
Ce n’était pas une simple rencontre footballistique de plus face à Kro AS que les Lions de Ménilmontant ont jouée dans la torpeur du soir en ce lundi 24 juin 2019 porte de Montreuil mais rien de moins qu’un rendez-vous avec l’histoire du club et, n’ayons pas peur des mots, du football en général. D’abord - et surtout - parce qu’il s’agissait d’accompagner deux Lions parmi les plus fameux, Romain Rossi-Landi et Quentin Nodé-Langlois dans leur dernière chasse au cœur de la savane parisienne. Mais la soirée avait aussi d’historique le retour pour l’occasion, dans leur antre du XXème arrondissement, de tant de vieux fauves partis vers d’autres horizons ou retirés depuis quelques temps déjà des terrains de chasse. Les Nantais Bruno et Jo, les parisiens Charles C., Yvan, Daniel, JB, Guillaume L, Thomas SA, Benoît S., Victor B. et Guillaume NL étaient revenus, de loin pour certains, afin que Lions d’hier et d’aujourd’hui puissent honorer ensemble la dernière sortie de Romain et de Quentin sous le maillot azur, floqué du nom de l’historique président. Tandis que le premier des deux venait achever là le crépuscule de sa longue carrière footballistique, l’autre, encore dans la plénitude de sa force, faisait ses adieux aux Lions pour n’avoir su résister aux sirènes méridionales. Qu’à cela ne tienne, c’est avec le même pincement de cœur qu’ils auront successivement traversé et retraversé la haie d’honneur dressée fièrement par leurs coéquipiers et adversaires, au coup de sifflet final.
Même si, dans un tel contexte, le match était presque anecdotique, les Lions mirent un point d’honneur à offrir aux partants un départ digne de leur poids dans l’histoire du club. Pour le coup d’envoi, Romain et Quentin avaient évidemment pris leur place habituelle sur le terrain tandis que quelques valeureux anciens venaient prêter main forte à Djino et la génération actuelle, représentée avec fière allure par Valentin, Raphaël, Arthur, Pascalis, Victor P., Antoine C. et P.E. La première mi-temps, malgré une chaleur étouffante, offrait des débats enlevés et assez équilibrés mais les Lions se faisaient surprendre en début de match dans le dos de leur défense. Après une égalisation méritée, puis deux buts en seconde mi-temps, ils ont longtemps cru pouvoir gratifier Romain et Quentin d’un ultime succès avant que la victoire ne les fuie, la faute à quelques maladresses dans les derniers gestes, au cours d’une deuxième période pourtant bien maitrisée. Le chroniqueur ayant vieilli et rangé sa plume depuis bien plus longtemps que ses crampons, sa mémoire défaille à l’heure de conter précisément les actions d’éclats des héros du soir et des autres, que l’histoire, cette fois, ne retiendra pas. L’essentiel n’était pas là, de toute façon : il s’agissait surtout de voir Romain couper encore avec autorité quelques courses adverses et Quentin nous gratifier de ces percées assassines que peu de défenseurs peuvent contenir. Mais les plus vieux des spectateurs se seront aussi délectés, à n’en pas douter, à revoir la grande carcasse de Bruno contrôler avec superbe les airs au milieu, les grands compas de Charles annihiler avec tranchant les offensives de l’adversaire, sans oublier les crochets de Jo, la solidité de Guillaume L, la générosité de JB, et les remises en pivot de Thomas (moins marquantes néanmoins que ses commentaires d’après match). Tout cela sous les regards traditionnellement taquins de Daniel, Yvan, Benoît et Victor prudemment installés à l’ombre du banc. La rencontre aura été aussi l’occasion pour Arthur et consorts de montrer aux anciens que l’avenir de l’équipe est en de très bonnes mains. Et malgré les deux superbes buts du nouveau capitaine des Lions qui affole tous les compteurs depuis trois ans (68 réalisations en 65 matchs, excusez du peu) la palme du match revient à Victor P. qui, à la réception d’une remise à 30 m des buts adverses, a offert au public un éblouissant slalom entre quatre adversaires, avant de crucifier avec autant de calme que d’élégance le gardien de Kro, mystifié par une magistrale feinte de frappe./p>
L’heure était alors à la célébration et à la nostalgie. Car avec Romain, c’est un poids très lourd du club qui fait ses valises : le milanisto jouait hier sur le terrain son 253ème match officiel sous le maillot léonin. Dans le vestiaire, il aura assuré près de dix ans de présidence officielle ou officieuse (dans l’ombre d’un Benoît jalousement attaché au prestige du titre). Joueur, il était un défenseur impitoyable, qui aura tenu dix-sept ans durant la charnière centrale de la défense léonine, formant de nombreuses paires mythiques, tour-à-tour avec Karl, Gwen, Charles, Alex M., Valentin ou Alex F. pour ne citer que ceux qui signaient le plus d’autographes. Élevé à l’école italienne des Costacurta et Baresi, adepte depuis sa prime jeunesse du « charcutage » en règle - enfin, presque, Romain était aussi, comme son idole Maldini, un formidable contre-attaquant : en témoignent ses 26 buts qui, souvent, sont venus ponctuer, d’un tir rageur, une longue percée lancée depuis sa propre surface. Comme tout italien des années 80, Romain faisait preuve d’une volonté indéfectible de vaincre et d’un goût prononcé pour le défi, des traits de caractère bien trempés qui ont tôt fait de lui un leader majeur du terrain comme du vestiaire. Sa profonde haine de la défaite pouvait néanmoins parfois l’entraîner vers ces voies plus obscures où l’esprit du jeu s’étiole. Quelques chevilles, notamment lisboètes, en portent encore les stigmates… Il lui arriva ainsi, dans des temps anciens, d’être sorti momentanément du terrain par son capitaine et beau-frère après être allé punir d’un tacle assassin loin de ses buts quelque adversaire qui l’avait passé trop facilement quelques minutes plus tôt. Le port du brassard qu’il dut assumer par la suite l’obligea naturellement à gagner en maîtrise, ce que deux coupes du fair-play reçues en tant que capitaine et président viendront récompenser à la juste mesure des efforts douloureusement consentis. Sa fin de carrière aura été malheureusement compliquée par des blessures récurrentes au genou mais avec une dernière saison, même écourtée, à 42 ans, le défenseur léonin peut aussi partir avec quelques palmes de longévité. Il y en a très peu, chez les Lions qui ont fait mieux jusque-là.
Quentin n’aura pas exactement la même histoire. Le plus jeunes des frères Nodé n’a pas connu, contrairement à Romain, les âges farouches où les rencontres, parfois, se jouaient sur des terrains lointains et champêtres, où les déculottées étaient fréquentes et où la moisson de buts se révélait famélique. Recruté par son frère aîné dès son arrivée en terre parisienne en 2008, à une période où le club était déjà parvenu à maturité, il ne tarda pas, après une ou deux saisons déjà prometteuses passées à grandir aux côtés d’illustres attaquants tels Étienne ou Manu, à devenir le goléador incontournable des Lions. Terminant en tête du classement des buteurs du club pendant six saisons consécutives, il aura totalisé 122 réalisations sur l’ensemble de son aventure porte de Montreuil, ce qui fait de lui le plus prolifique, et de loin, attaquant léonin de l’histoire. Numéro 9 vif et intenable, dans l’axe ou sur les ailes, il aura été le cauchemar des défenses franciliennes par sa vitesse de course, ses crochets extérieurs et – même s’il avait d’autres cordes à son arc - sa spéciale, le tir croisé du gauche. Son endurance lui permettait de multiplier inlassablement les courses et autorisait ainsi parfois des Lions en difficulté à se contenter de longs ballons envoyés au loin, que ce diable d’attaquant parvenait, en deux ou trois coups de rein rageurs et d’un coup de patte, à mettre au fond des filets. À l’image de l’esprit collectif qui a toujours primé chez lui, Quentin aura aussi généreusement fait briller ses coéquipiers sur le front de l’attaque et leur aura offert la bagatelle de 67 buts. C’est ainsi qu’il truste également la première place du classement des passes décisives, cette fois à égalité avec son frère aîné venu opportunément glaner hier un ultime fait d’arme pour ne pas tomber dans les oubliettes de l’histoire familiale.
Après la rencontre, « perdue » à l’issue d’une séance symbolique de TAB qui a vu Romain, en hommage à son autre idole Roberto Baggio, rater le sien, Quentin et Guillaume L. réussir le leur contre un gardien lui aussi sur le départ, les trois partants recevaient donc l’hommage appuyé des deux équipes avant de rejoindre les vestiaires dont les murs trembleront encore longtemps des derniers cris de guerre du capitaine léonin. Étonnamment, Charles n’était pas le dernier à quitter la douche mais pour le reste, les précieuses traditions étaient respectées : la soirée se poursuivait à la cantine des Lions où les tenanciers les accueillaient dans une allégresse à la hauteur de l’événement et leur dressaient rapidement une tablée de rois où, par nostalgie ou folie, l’on commettait l’erreur, tant de fois éprouvée, de placer Thomas et Charles à proximité l’un de l’autre. Une tablée, de jeunes et de vieux, qui, soit dit en passant, pesait 2436 matchs et plus de 400 buts cumulés. Elle fut l’occasion, comme tout moment commémoratif, de rappeler les origines de ce club bientôt vingtenaire, de faire resurgir les grands moments collectifs comme les exploits des grands anciens ou ceux, plus fantasmés, de Thomas. Elle permit aussi aux vieux d’envisager – et, pour les plus partisans, de rêver - avoir par le passé affronté et étrillé le président de la République actuel à l’époque des rencontres ENA-Lions de glorieuse mémoire. Dans l’euphorie du moment, Arthur montrait qu’il avait déjà endossé le costume du Président visionnaire en manifestant sa volonté d’institutionnaliser ces retrouvailles annuelles tandis que Charles se plaisait à imaginer un improbable retour chez les Lions.
Quelques vieilles gloires poursuivront jusqu’à tard la soirée, dans la torpeur persistante, histoire de vainement faire durer, autour d’une ultime tournée et de Romain, ce moment d’histoire qu’ils ne voulaient décidément pas laisser entrer dans le passé. Une page est désormais définitivement tournée : le dernier des premiers Lions historiques encore en activité s’en est allé. Le nom de l’Avvocato, comme un symbole, restera gravé de longues années encore sur le maillot bleu. C’est à Djino, nouveau doyen en exercice, qu’incombe désormais la tache de transmettre la mémoire et d’incarner la continuité du club. Et à tous les autres, arrivés ces dernières années autour de Quentin, celle de faire vivre l’esprit éternel des Lions de Ménilmontant. Que les cris de guerre de Nadir, Gwen, Nodé, Romain, Alex et Quentin continuent de résonner encore longtemps à travers les rugissements d’Arthur et de ses successeurs ! Lions are forever…